Inde : Montée en puissance d’un acteur économique et géopolitique majeur sur fond de risques structurels importants

Grandes lignes
- Malgré un certain essoufflement, les perspectives de croissance à long terme de l’Inde restent solides.
- La faible dette extérieure, une balance des paiements confortable et la stabilité politique maintenue sous Narendra Modi contribuent au bon niveau de risque politique à MLT.
- Outre la faiblesse de ses finances publiques, l’Inde doit faire face à des défis structurels importants, tels que le changement climatique, le chômage des jeunes et le manque d’investissements dans la santé et l’éducation.
- Renforcer son influence régionale et mondiale et tirer parti des évolutions du commerce international resteront les priorités de sa politique étrangère.
Forces
Faiblesses
Chef d’État
Chef du gouvernement
Population
PIB par habitant
Groupe de revenu
Principaux produits d’exportation
Ralentissement économique à court terme, solides perspectives de croissance à long terme
Depuis la fin de la pandémie de Covid-19, l’Inde a retrouvé une trajectoire de croissance rapide, fluctuant légèrement au-dessus des 7 % en moyenne – le taux le plus élevé parmi les plus grandes économies du monde, même si récemment les perspectives ont été légèrement revues à la baisse, le FMI prévoyant une croissance du PIB réel de +6,5 % dans les prochaines années. En effet, depuis l'année dernière, l’économie indienne a sensiblement ralenti en raison de la baisse de la demande des consommateurs et des investissements domestiques. Pour compenser les vents contraires, le nouveau gouverneur de la banque centrale indienne (Reserve Bank of India, RBI) envisage un abaissement des taux d’intérêts et de laisser flotter librement la roupie indienne pour stimuler les exportations. Un changement de politique qui pourrait amener la roupie surévaluée à s’enfoncer un peu plus dans son plus bas historique face à un dollar américain fort, décuplant le risque inflationniste. L’inflation reste un problème persistant en Inde, particulièrement pour les denrées alimentaires. Étant donné que l’Inde importe un tiers de ses besoins énergétiques, l’inflation (5,2 % en décembre dernier) pourrait à nouveau se rapprocher de la fourchette supérieure de l’objectif du gouvernement en matière d’inflation (6 %), entrainant une augmentation du coût de la vie et compliquant la politique monétaire. La dépréciation de la roupie et la hausse de l’inflation pourraient également avoir un impact sur le risque lié à l’environnement des affaires (actuellement en catégorie C/G).
En dehors de ces préoccupations à court terme, les perspectives restent prometteuses pour l’économie indienne. L’immense marché domestique, l’impulsion donnée par le gouvernement au secteur manufacturier (avec un objectif d’autosuffisance et des objectifs d’exportation ambitieux), le dynamisme du secteur des services IT et un gouvernement favorable aux entreprises soutiennent les perspectives économiques optimistes de l’Inde.
En outre, le secteur bancaire, qui constituait une faiblesse majeure pour le pays il n’y a pas si longtemps encore, a été assaini et repose sur des bases plus solides depuis que la crise des prêts irrécouvrables a été prise en main.
Des comptes extérieurs sains et une dette extérieure modérée
La balance des paiements de l’Inde est bonne, avec un léger déficit du compte courant (1,1 % du PIB attendu pour l’exercice 2024), soutenue par des exportations diversifiées et par les envois de fonds des travailleurs expatriés – à hauteur d’environ 15 % des recettes du compte courant – l’Inde étant de loin le plus grand pays bénéficiaire au monde. Ce déficit est entièrement financé par les entrées d’investissement et devrait augmenter progressivement dans les prochaines années, sous l’effet notamment de l’augmentation des importations de biens d’équipement faisant suite à la prévision de hausse des investissements directs étrangers. Le commerce international et les investissements étrangers – l’Inde étant une destination attrayante en termes de diversification de la chaîne d’approvisionnement mondiale – sont une composante importante de la stratégie du gouvernement visant à stimuler l’activité économique future. Ainsi, le gouvernement devrait rester actif dans la recherche de nouveaux accords de libre-échange et d’accords d’investissement au niveau bilatéral, par exemple avec l’UE. Par ailleurs, la vigueur des exportations et des entrées d’investissement a un impact positif sur la liquidité. L'année dernière, les réserves de change couvraient plus de sept mois d’importation, un niveau confortable qui explique la très bonne classification du risque politique à court terme qui se maintient en catégorie 2/7. La situation de la dette extérieure est également saine. Selon la Banque mondiale, le stock et le service de la dette extérieure représentaient en 2023 respectivement moins de 20 % du PIB et moins de 10 % des recettes du compte courant. Ces aspects devraient rester maîtrisés à moyen et long termes. Ainsi, ces atouts macroéconomiques devraient contribuer à maintenir la classification stable et positive du risque politique à MLT de l’Inde en catégorie 3/7.
Les faiblesses structurelles posent de nouveaux dÉfis
Les finances publiques sont une préoccupation chronique en Inde. En effet, la permanence de larges déficits budgétaires – supérieurs à 8 % du PIB en moyenne entre l’année budgétaire 2014 et 2023, et qui devraient rester supérieurs à 7 % dans les années à venir – maintient la dette publique à des niveaux élevés. Cette dernière devrait s’élever à 83,4 % du PIB – ou 390 % des recettes publiques – pour l’année budgétaire 2024, soit le niveau le plus élevé depuis 20 ans, et ne diminuer que légèrement à moyen et long termes. Cela étant dit, la dette publique est essentiellement détenue par des créanciers domestiques, ce qui atténue les risques. Le fait que les paiements d’intérêts continuent de consommer environ un quart des recettes publiques contraint donc les dépenses publiques. Toutefois, depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le Premier ministre Narendra Modi a considérablement élargi les programmes de protection sociale existants à un plus grand nombre de personnes, développant avec succès l’utilisation des technologies de paiement par transferts électroniques. Ces programmes d’aide sociale à grande échelle ont été un pilier populaire du gouvernement de Narendra Modi. Cependant, bien que les transferts en espèces jouent un rôle face aux fortes inégalités de revenus et à la pauvreté élevée, leur importance et leur permanence ont accru la dépendance de leurs bénéficiaires et alourdi la charge fiscale dans un contexte de finances publiques déjà fragiles. En outre, ils ne s’attaquent pas aux problèmes structurels, notamment l’insuffisance des investissements publics dans la santé et l’éducation et le manque d’emplois – le chômage des jeunes est particulièrement élevé – qui affectent tous deux le dividende démographique, la consommation et la croissance du PIB de l’Inde.
D’autres risques assombrissent les perspectives, tels que l’aggravation des tensions intercommunautaires sous le régime axé sur l’hindouisme de Modi et le changement climatique. En effet, l’intensification des catastrophes naturelles et des défis liés à l’eau sont devenus des risques majeurs pour le pays le plus peuplé du monde, où l’agriculture est la principale source de revenus et d’emplois pour la plus grande partie de la population.
Stabilité politique sous le long leadership de Modi
L’Inde jouit d’une stabilité politique et de la continuité de ses politiques. Au printemps dernier, Narendra Modi et son parti le BJP ont à nouveau remporté les élections législatives, lui permettant de rempiler pour un troisième mandat consécutif de cinq ans en tant que Premier ministre. Même si cela confirme sa popularité dans la durée, son succès était toutefois plus modéré et l’importante coalition d’opposition « INDIA » a gagné du terrain. La perte de la majorité absolue au Parlement avait en effet contraint son parti à former une coalition (NDA) avec deux plus petits partis alliés. Une vulnérabilité non rencontrée au cours des dix dernières années mais qui ne devrait pas trop affecter l’élaboration des politiques. En ce qui concerne les perspectives d’avenir, une instabilité de la coalition multipartite INDIA et la puissante machine politique du BJP forment une combinaison de facteurs qui pourraient permettre au parti au pouvoir de se maintenir au-delà de la carrière politique de Narendra Modi, âgé de 74 ans.
Leader du Sud Global et politique étrangère habile dans un nouvel ordre mondial instable
Dans un ordre mondial en mutation, la démocratie indienne vise à se positionner en tant que leader du Sud Global en concurrence avec la Chine, tout en restant fidèle à sa position historique de non-alignement en jouant astucieusement la carte de l’indépendance. Par conséquent, l’Inde devrait continuer à naviguer avec succès entre les blocs géoéconomiques, d’une part en cultivant de bonnes relations avec l’Occident, offrant des avantages économiques et sécuritaires dans son opposition naturelle aux ambitions régionales et mondiales de la Chine, et d’autre part en renforçant son rôle de défenseur des droits et des intérêts des pays en développement et des pays émergents. Les conférences internationales sur le climat, les BRICS, et l’expansion du commerce avec une Russie sous le coup des sanctions (devenue rapidement son principal fournisseur de pétrole, alors que celle-ci ne lui fournissait pratiquement rien avant la guerre en Ukraine) étant autant de moyens d’y parvenir. En ce qui concerne les relations bilatérales clés, elles se sont stabilisées avec le Pakistan et se sont améliorées avec Chine, comme en témoigne l’apaisement des tensions depuis octobre dernier, lorsque l’Inde et la Chine sont parvenues à un accord concernant les patrouilles militaires le long de la frontière himalayenne contestée. Toutefois, ce dégel positif pourrait être temporaire, étant attendu que l’assertivité régionale de la Chine s’intensifie dans le futur et compte tenu de l’approche divergente de l’ordre mondial qu’ont les deux pays. En ce qui concerne les États-Unis, la coopération bilatérale devrait se développer davantage étant donné les liens étroits entre le dirigeant indien et américain. Toutefois, étant donné l’insistance du président américain Donald Trump sur les excédents commerciaux pour imposer des droits d’importation plus élevés, l’Inde pourrait devoir s’engager à augmenter ses achats militaires auprès des États-Unis et à abaisser les droits d’importation sur certains produits américains.
Analyste : Raphaël Cecchi – r.cecchi@credendo.com