Sénégal: Dans un contexte difficile, les perspectives de risque à MLT restent stables
Faits marquants
- Les perspectives de croissance économique restent fortes, avec la mise en place de la production d’hydrocarbures.
- Les niveaux de liquidité régionaux sont soumis à des pressions soutenues en raison de l’accès restreint aux marchés financiers.
- Les ratios de la dette et du déficit devraient être influencés positivement par le bond des recettes d’exportation.
- Les tentatives du Président pour contourner la Constitution suscitent des tensions politiques.
Forces
Faiblesses
Chef d’État
Chef du gouvernement
Population
PIB par habitant
Groupe de revenu
Principaux produits d’exportation
Les performances économiques du Sénégal continuent de figurer parmi les plus résilientes de la région
Les fondamentaux macroéconomiques du Sénégal sont solides comparés à de nombreux autres pays de la région, grâce à son environnement politique traditionnellement stable et à la reprise des recettes d’exportation provenant des transferts privés, du tourisme, du phosphate, de l’or, des produits agricoles (noix, coton et poisson principalement) et, plus récemment, du pétrole et du gaz. Pendant des années, les investissements publics ont été le principal moteur de la croissance économique, dans le cadre du « Plan Sénégal Émergent ». En 2022, l’inflation a atteint 9,7%, le niveau le plus élevé depuis le début des années 1990, principalement en raison de la hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie résultant des turbulences mondiales qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais aussi de récoltes locales décevantes. Malgré une légère contraction de la production industrielle et une réduction des dépenses d’investissement public, la croissance du PIB réel est restée forte en 2022 (4,7%) et devrait s’accélérer pour atteindre 8,3% en 2023, profitant du lancement de la production de pétrole et de gaz, de la reprise des recettes du tourisme et de la production industrielle, le tout combiné à un recul attendu de l’inflation (5% en 2023). Pour 2024, une croissance du PIB à deux chiffres est attendue, grâce à la production d’hydrocarbures, et les perspectives de croissance à long terme devraient rester solides (5%). Par conséquent, le Sénégal continuera d’être l’un des pays les plus performants de la région au niveau économique.
Les niveaux de liquidité de l’UEMOA sont soumis à une pression croissante à la suite de la guerre en Ukraine
Le Sénégal est membre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine1 (UEMOA), dont il utilise la monnaie commune, le franc CFA, comme devise. L’adhésion à l’UEMOA permet d’atténuer les risques de liquidité et de favoriser une relative stabilité monétaire. Les réserves sont regroupées à la banque centrale régionale (BCEAO), la monnaie est arrimée à l’euro et la conversion du franc CFA en euro est garantie par le Trésor français. Depuis quelques années, plusieurs États membres souhaitent mettre fin au système actuel, car ils considèrent que l’Union limite les options de politique macroéconomique et constitue une forme de néocolonialisme. Fin décembre 2019, l’« eco » a été officiellement annoncé comme la future monnaie régionale commune des 15 États membres de la CEDEAO, en remplacement du franc CFA. Différentes réformes ont déjà été mises en œuvre. Par exemple, l’obligation de déposer 50% des réserves regroupées auprès du Trésor français a été levée. Néanmoins, compte tenu des divergences importantes concernant la forme de la future monnaie, combinées à l’impact économique grave de la Covid-19 et les récentes turbulences mondiales, l’introduction de l’eco a été reportée à plusieurs reprises et n’est pas attendue avant 2027.
La pression sur les liquidités et l’érosion du niveau des réserves de change brutes sont actuellement des facteurs de risque importants dans de nombreuses régions du monde, et l’UEMOA n’y fait pas exception. En raison de la détérioration des termes de l’échange (les États membres sont principalement des importateurs nets de combustibles et de denrées alimentaires) et de la baisse de l’afflux de capitaux (les conditions financières mondiales étant moins favorables), les réserves de change ont chuté de 20% en 2022 (cf. graphique ci-dessous). En outre, la dépréciation de l’euro – auquel le franc CFA est arrimé – par rapport au dollar américain a contribué à creuser le déficit du compte courant régional en 2022, avec des coûts d’importation en hausse. L’indice de couverture des importations par les réserves devrait être adéquat selon le FMI, à 4,5 mois de couverture. Depuis le début 2023, les réserves de change ont commencé à se stabiliser à nouveau, mais la détérioration des conditions de financement internationales pèse sur l’accès financier et pourrait entraîner une pression accrue sur les liquidités en cours d’année.
Les investissements dans les hydrocarbures devraient augmenter structurellement les recettes du compte courant
Le Sénégal est confronté depuis plusieurs années à des déficits de compte courant structurels à deux chiffres et, cette année encore, le déficit devrait s’élever à environ 10% du PIB. Étant donné que l’afflux de capitaux devrait être réduit compte tenu de la détérioration continue des conditions financières mondiales, un déficit de financement limité sur la balance des paiements extérieurs est à nouveau probable, provoquant une pression sur les liquidités et une baisse des réserves de change. Grâce à l’augmentation des recettes d’exportation (pétrole et gaz) et au recul des importations (achèvement des investissements dans les hydrocarbures générant d’importantes importations), le déficit du compte courant devrait désormais converger vers 4%-5% du PIB à partir de l’année prochaine, tandis que la baisse du déficit du compte courant devrait être entièrement financée par des IDE et une augmentation des investissements de portefeuille. Les réserves de change du Sénégal devraient par conséquent se reconstituer progressivement à moyen terme.
L’accord de confirmation du FMI de juin 2021 dont bénéficiait le Sénégal s’est achevé en janvier 2023, et les négociations avec le gouvernement sénégalais en vue d’un nouveau programme de soutien du FMI ont débuté en avril 2023 pour aider à faire face aux besoins financiers les plus immédiats. Une réponse favorable forte du FMI face aux défis économiques et financiers de l’UEMOA contribuera à atténuer la pression sur les liquidités à court terme, tandis que la dette extérieure totale et les ratios du service de la dette se maintiendront à des niveaux viables et devraient diminuer à partir de 2024 en raison de l’augmentation attendue des recettes du compte courant.
La hausse constante de l’encours de la dette publique au cours de la dernière décennie devrait s’inverser
Après une décennie d’emprunts publics massifs, le ratio de la dette publique au PIB du Sénégal a doublé, passant de 33% du PIB en 2011 à 73,2% en 2021. En 2022, les finances publiques ont souffert de l’augmentation de la masse salariale et du coût important des subventions à la consommation d’énergie (4% du PIB) à la suite de la flambée des prix mondiaux de l’énergie. Par conséquent, le déficit budgétaire est resté élevé en 2022, à environ 6% du PIB, faisant grimper l’encours de la dette publique. L’augmentation des recettes d’exportation prévue pour cette année, ainsi que l’assainissement budgétaire progressif devraient néanmoins avoir un impact positif sur les projections budgétaires – le déficit budgétaire devrait atteindre à nouveau un niveau gérable de 4% à partir de 2024, ramenant l’encours de la dette publique sous la barre des 70% du PIB à partir de l’an prochain. Les recettes publiques en pourcentage du PIB augmentent progressivement et devraient dépasser les 20% à partir de 2024. Le FMI évalue désormais le Sénégal comme présentant un « risque modéré de surendettement », alors qu’il présentait un « risque faible de surendettement » depuis plusieurs années2. Combiné à la hausse des taux d’intérêt mondiaux, le resserrement des conditions de financement sur le marché obligataire régional va encore compliquer l’accès au financement, sachant qu’environ un tiers de la dette publique du Sénégal est financée au niveau régional.
Les tensions politiques s’accroissent en dépit de la stabilité des institutions
Le taux de chômage élevé chez les jeunes, la corruption et les inégalités continuent d’alimenter des troubles sociaux sporadiques. En outre, les tensions politiques au Sénégal sont fortes depuis que le Président Macky Sall a tenté de contourner la Constitution pour briguer un troisième mandat en février 2024. Les élections législatives de juillet 2022 ont néanmoins permis à l’opposition de remporter des victoires significatives, le parti au pouvoir ne conservant qu’une courte majorité d’un seul siège, ce qui pourrait présager d’un recul des chances de Macky Sall d’obtenir un nouveau mandat lors des prochaines élections présidentielles. Les récentes arrestations de journalistes et les mesures de répression prises à l’encontre de l’opposition suscitent des inquiétudes quant à l’émergence d’un autoritarisme et, si le gouvernement en place devait encore recourir à ces tactiques à l’approche des élections, il faudrait s’attendre à de violents troubles et manifestations. L’année à venir sera cruciale si le Sénégal veut endosser son héritage d’institutions fortes et démocratiques.
Malgré d’importants risques identifiés sur le court terme, les perspectives à moyen terme pour le Sénégal restent stables
À l’instar de la plupart des pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest, le Sénégal est exposé à des risques en matière de sécurité qui sont liés aux retombées de la violence du djihadisme en provenance du Mali et du Burkina Faso. Les risques de catastrophes liées au changement climatique et l’insécurité alimentaire constituent également d’importantes menaces. En outre, le Sénégal est exposé aux perturbations des chaînes d’approvisionnement internationales résultant de la guerre en Ukraine et du resserrement des conditions financières internationales. Cela compliquera les opportunités de refinancement et pourrait générer un stress additionnel au niveau des liquidités – la pression sur le niveau de liquidité de l’UEMOA constitue probablement le risque le plus imminent pour la région à court terme.
La classification du risque politique à moyen et long terme du Sénégal est stable et se situe dans la catégorie 5/7 depuis près de vingt ans, et les perspectives restent inchangées. En 2023 et 2024, les indicateurs économiques et financiers devraient s’améliorer progressivement grâce à une baisse de l’inflation et au recul du double déficit dû à l’accélération de la croissance du PIB et des exportations. Les ratios d’endettement devraient par conséquent diminuer au fil du temps, même si les services de la dette de cette année seront plus élevés en raison des conditions financières défavorables. En outre, les prévisions restent volatiles étant donné le contexte géopolitique incertain et des perspectives économiques mondiales généralement moins bonnes cette année.
Analyste: Louise Van Cauwenbergh – l.vancauwenbergh@credendo.com
1 Les États membres de l’UEMOA : Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo.
2 Actuellement, plus aucun pays à faible revenu (PFR) africain ne présente un « risque faible de surendettement ».