Turquie: Le risque pays est entravé par une politique monétaire peu crédible et par la dépendance à l'égard des financements externes

Grandes lignes
- Une très forte croissance du PIB réel en 2021.
- Des liquidités insuffisantes, qui restent le talon d’Achille de la Turquie, malgré une forte augmentation des réserves de change brutes nominales.
- Une forte dépréciation de la livre turque et d’importantes pressions sur la monnaie.
- L’endettement élevé des entreprises – souvent libellé en devises étrangères – accroît le risque de non-paiement.
- Les perspectives des classifications des risques pays de Credendo sont stables.
Froces
Faiblesses
Chef de l’État
Population
PIB par habitant
Groupe de revenus
Principaux produits d’exportation
Une très forte croissance en 2021
Le FMI (PEM octobre 2021) prévoit que la croissance du PIB réel atteigne 9 % cette année. Cette croissance économique élevée est d'autant plus impressionnante que, contrairement à de nombreuses économies dans le monde, l'économie turque n’a pas subi de contraction l'année dernière, mais a plutôt connu une croissance de 1,8 %. Les projections de croissance sont moins impressionnantes pour l’année prochaine mais restent solides à 3,3 %. La croissance impressionnante enregistrée en 2021 s’explique par divers facteurs tels qu’une bonne diversification de l’économie, un taux de vaccination relativement élevé (près de 60 % de la population est entièrement vaccinée) et une forte demande intérieure et extérieure. Cette forte croissance est également stimulée par la volonté des autorités de soutenir leur économie par des mesures budgétaires et quasi-budgétaires, ainsi que par une politique monétaire très accommodante. Cela dit, cette politique monétaire très souple n’est pas sans conséquence pour l'inflation.
Une inflation élevée qui est source d'inquiétude
Depuis 2016, l’inflation annuelle moyenne a atteint une valeur à deux chiffres, bien au-delà de l’objectif des 5 % de la banque centrale. Cette forte inflation – 19,9 % en octobre 2021, selon les chiffres officiels – est alimentée tant par des facteurs internationaux (prix élevés des matières premières, inadéquation entre l’offre et la demande) que nationaux (dépréciation du taux de change et politique monétaire très accommodante). Alors que les banques centrales de nombreux marchés émergents sont en train d’augmenter leur taux d’intérêt de référence pour endiguer les pressions inflationnistes, la banque centrale de Turquie a quant à elle baissé son taux de mise en pension à une semaine à 15 % en novembre 2021 (après l’avoir seulement brièvement augmenté à 19 % en mars de cette année). Par conséquent, le taux d’intérêt de référence réel reste négatif. Les récentes baisses des taux d’intérêt et le licenciement de plusieurs gouverneurs de la banque centrale et membres du comité de politique monétaire affaiblissent la crédibilité de la banque centrale – qui n'est indépendante que de nom. Qui plus est, l’incertitude liée aux politiques n’a fait que s'accroître au cours des dernières années. La politique monétaire n'est qu'un exemple de cette détérioration. On observe en effet, en examinant les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale, que la plupart des indicateurs se sont détériorés de manière significative. Par exemple, le score obtenu pour la qualité de la réglementation est passé de 66,3 en 2014 à 51,9 en 2020, celui de l’État de droit s'est détérioré de 57,2 à 40,4 et celui de l'efficacité des pouvoirs publics de 68,3 à 52,4. Le manque de crédibilité de la politique monétaire et la détérioration des indicateurs de gouvernance pèsent sur la confiance des investisseurs étrangers et sur l'attractivité du pays pour les investissements directs étrangers. Dans ce contexte morose pour les investissements à long terme, l’économie dépend des flux de capitaux à court terme pour financer le déficit structurel du compte courant – ce qui constitue un facteur de vulnérabilité étant donné l’insuffisance de liquidités de la Turquie.
Une forte augmentation des réserves de change brutes
Comme le montre le graphique 1, les réserves de change brutes ont été sous pression dans le passé. Cette érosion progressive des réserves de change brutes a poussé Credendo à abaisser sa notation du risque politique à court terme en catégorie 5/7. Toutefois, depuis le creux de septembre 2020, les réserves de change brutes sont sur une pente ascendante. Cette augmentation est due à l’allocation de DTS en août dernier par le FMI, l’augmentation des emprunts à court terme par la banque centrale (par ex. des swaps) et la hausse des entrées de portefeuille. La forte augmentation des réserves de change nominales est très positive. D’autre part, on s'attend à une réduction du déficit du compte courant, de 5,2 % du PIB en 2020 à 2,4 % cette année, en dépit de la hausse des prix du pétrole et de la forte demande intérieure. En effet, un important rebond des recettes du compte courant – stimulé par la forte demande venant de l’Europe, un rebond du secteur touristique et une plus grande compétitivité des exportateurs grâce à une livre faible – devrait plus que compenser la hausse des importations.
Pour l’instant toutefois, les perspectives de risque politique à court terme restent stables – les réserves de change brutes n’étant pas suffisantes pour couvrir la dette extérieure à court terme qui est très élevée. De plus, la Turquie – étant donné sa dépendance à l’égard des entrées de capitaux à court terme – reste vulnérable à tout changement dans les conditions financières internationales. Une telle détérioration pourrait se produire en raison de facteurs nationaux et internationaux (par exemple, la décision de la Réserve fédérale américaine de resserrer sa politique monétaire, plus fortement que ne le prévoit actuellement le marché, afin d'endiguer les pressions inflationnistes aux États-Unis). Enfin, et non des moindres, dans sa dernière consultation au titre de l'article IV, le FMI a noté que la qualité des réserves de change s'était détériorée en 2020, avec une part croissante de réserves constituées de monnaies ne faisant pas partie du panier de la DTS et/ou dues aux banques sous la forme de dépôts à la banque centrale et de swaps. En examinant les données cumulatives du secteur bancaire, on observe en effet une augmentation des créances sur la banque centrale en 2020 (de plus de 60 %) et à hauteur de presque 11 % du PIB cette année.

Une pression sur le taux de change qui va se poursuivre
L’insuffisance de liquidités et la politique monétaire en manque de crédibilité ont mis la livre turque (TRY) sous pression (voir graphique 2) ces dernières années. La forte dépréciation de la livre turque est source d'inquiétude. En effet, une part de l’endettement élevé des entreprises privées – estimé à 72 % du PIB au premier trimestre 2021 après une réduction du levier d’endettement bien accueilli en 2018/19 (voir graphique 3) – est libellée en devises étrangères et donc plus coûteuse à rembourser en monnaie locale lorsque le taux de change se déprécie. En revanche, cette dette est en grande partie intérieure et financée par le secteur bancaire dans le contexte d'une politique monétaire très accommodante. Par conséquent, la dette extérieure brute et, partant, la solvabilité de la Turquie restent modérées (environ 60 % du PIB en 2020 selon les chiffres de la Banque mondiale).
Cependant, cela rend le secteur bancaire vulnérable aux chocs monétaires. La qualité des actifs du secteur bancaire peut se détériorer lorsque la dépréciation continue de la livre rend difficile pour les entreprises le remboursement de leur dette en devises étrangères (les prêts à risque s'élevaient à 5 % en 2020, un niveau gérable qui s'explique en partie par les mesures d'abstention). Du côté des passifs, le secteur bancaire dépend fortement des financements externes et est donc vulnérable aux changements de perception du risque. Cela dit, depuis 2017, le recours au financement externe par le secteur bancaire rapporté au PIB a diminué de 16,6 % en décembre 2017 à 10,2 % en 2021, une tendance plutôt rassurante.


Des finances publiques solides
Dans un registre plus positif, il faut garder à l'esprit que l'une des forces de l'économie turque réside dans ses finances publiques saines. Cela a permis aux autorités turques de soutenir leur économie par des mesures de soutien budgétaires (à hauteur d'environ 2 % du PIB) et quasi-budgétaires (à hauteur d'environ 10 % du PIB). Cela dit, la dette publique a récemment augmenté, à près de 40 % du PIB en 2020 – ce qui reste un niveau favorable – tout comme la part libellée en monnaie locale (à 56 % en 2020). Ce qui signifie que l’administration centrale est également de plus en plus exposée au risque de change.
Des perspectives stables en matière de risque pays
Les perspectives des classifications des risques pays de Credendo sont stables. En effet, la très forte croissance, la solidité des finances publiques, la forte augmentation des réserves de change brutes, la dette extérieure modérée et les ratios du service de la dette étayent ces classifications. En revanche, la forte dépendance à l'égard des financements externes, le manque de crédibilité de la politique monétaire et la pression continue sur la livre turque pèsent sur ces classifications.