Inde : Probable troisième mandat de Modi pour mener le pays sur la voie d’une croissance rapide
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Grandes lignes
- Le premier ministre Narendra Modi devrait remporter un troisième mandat à l’issue des élections en cours.
- Le nationalisme hindou, l’accroissement de l’autonomie économique et la place de l’Inde sur la scène mondiale resteront les priorités du prochain gouvernement.
- Les perspectives de forte croissance du PIB réel sont assombries par la crise de l’emploi et l’ampleur des inégalités.
- Les fondamentaux macroéconomiques de l’Inde sont solides, mais la faiblesse des finances publiques et la vulnérabilité face au changement climatique sont des risques appelant à la prudence.
- À court terme, les notations de risque pays restent stables.
Forces
Faiblesses
Chef d’État
Chef du gouvernement
Population
PIB par habitant
Groupe de revenu
Principaux produits d’exportation
La success story du premier ministre Narendra Modi devrait se poursuivre impliquant aussi la continuité des politiques
La réussite du premier ministre Narendra Modi, âgé de 73 ans, devrait se poursuivre et ouvrir un nouveau chapitre de cinq ans. Dans l’histoire de l’Inde indépendante, cette longévité au pouvoir n’a été dépassée que par Jawaharlal Nehru (16,5 ans). En effet, le premier ministre sortant et son parti, le BJP, sont une fois de plus annoncés comme les grands favoris des élections législatives qui auront lieu entre le 19 avril et le 1er juin. Son charisme et son leadership fort, le nationalisme hindou et, en particulier, la progression de l’Inde sur la scène mondiale, mais aussi un bilan économique solide, des allocations de sécurité sociale généreuses et une politique gouvernementale orientée vers les entreprises, sont quelques-unes des nombreuses raisons qui expliquent la popularité durable de Modi. Dans le même temps, le destin politique de Modi s’est vu facilité par la fragmentation de l’opposition – malgré l’émergence avant les élections de la coalition INDIA (Indian National Developmental Inclusive Alliance), formée certes tardivement mais non négligeable – et l’absence d’un leader rival fort (notamment du parti historique, le Congrès national indien) face à la puissante machine politique du BJP. Cela est sans compter les obstacles juridiques auxquels l’opposition a dû faire face, tels que la récente arrestation du principal opposant de Modi, Arvind Kejriwal, chef du gouvernement de Delhi et chef du parti AAP. Le nombre de siège du BJP pourrait donc augmenter encore après les élections actuelles.
Un nouveau mandat de premier ministre pour Modi lui permettrait d’assurer la continuité des politiques, en maintenant spécifiquement l’accent sur l’identité hindoue, la politique étrangère et l’économie. La réduction des libertés politiques, mise en lumière par l’organisation non gouvernementale américaine Freedom House, et le programme Hindutva de Modi ont très probablement été les aspects les plus controversés de son mandat précédent, y compris la récente mise en application de l’amendement à la loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendment Act) adoptée par le Parlement indien. Selon le dernier indice de démocratie publié par The Economist, ces facteurs ont renforcé l’érosion démocratique perçue par rapport aux niveaux élevés de 2014 et ont contribué à l’intensification des tensions communautaires et de la violence religieuse, en particulier à l’encontre de l’importante minorité musulmane. Par conséquent, toute nouvelle mesure dans ce sens constituerait une nouvelle source de risques d’instabilité interne.
Une diplomatie étrangère active visant à élever le statut de puissance de l’Inde sur la scène internationale
Modi devrait poursuivre une politique étrangère active et ambitieuse, telle que menée au cours de son second mandat. Sur le plan international, cette politique consiste en une approche pragmatique et stratégique visant à élever le statut international de l’Inde parmi les pays occidentaux, émergents et en développement, dans le contexte d’un ordre géopolitique en pleine mutation. D’une part, Modi s’efforcera de maintenir des liens amicaux avec l’Occident (contrairement à la Chine), de jouer un rôle actif dans la région indo-pacifique et de négocier des accords commerciaux bilatéraux. D’autre part, il veillera à ce que l’Inde, et non pas la Chine, soit perçue comme le chef de file des pays du Sud en défendant sa cause dans les discussions sur le financement du changement climatique par le biais, entre autres, de sa participation au sein d’institutions non occidentales (telles que les BRICS), mais aussi en augmentant les transactions commerciales dans d’autres devises que le dollar américain, y compris avec des pays sanctionnés tels que la Russie, tant que les intérêts indiens en bénéficient et qu’elles n’enfreignent pas les sanctions des États-Unis ou de l’Union européenne. Parallèlement, face à la présence régionale croissante de la Chine, Modi veillera à ce que le renforcement de la sphère d’influence de l’Inde sur le sous-continent indien reste une priorité en matière de politique étrangère.
Une économie performante assombrie par une crise de l’emploi
L’économie devrait rester un autre acquis du gouvernement Modi, et le développement d’infrastructures de grande envergure a été l’une de ses principales marques de fabrique au cours de ses deux premiers mandats. Ces dernières années, son gouvernement s’est engagé à atteindre des objectifs ambitieux en matière d’autonomie économique en stimulant des secteurs manufacturiers tels que la défense, l’automobile, les véhicules électriques et les semi-conducteurs, tandis que la transition énergétique visant à s’affranchir du charbon encore très dominant et la poursuite de la numérisation devraient également rester des priorités en matière d’investissement dans les années à venir. Si la création d’emplois restera une autre priorité du gouvernement, elle a toutefois été décevante jusqu’à présent.
En effet, alors que l’Inde est devenue le pays le plus peuplé du monde, en pratique, les effectifs nationaux n’arrivent pas à générer les bénéfices escomptés en raison du manque d’emplois disponibles et de bonne qualité, ainsi que du faible taux d’emploi chez les femmes. En conséquence, le taux de chômage officiel est élevé (environ 8 à 9 %), mais une part importante de l’emploi total dans le pays reste non déclarée. La principale préoccupation concerne les jeunes, on estime que plus de 40 % de cette catégorie pourraient être sans emploi. Outre la crise de l’emploi et malgré un recul de l’extrême pauvreté à 12 % de la population (source : Banque mondiale), l’Inde reste un pays où la pauvreté est très répandue et les inégalités prononcées. Les bonnes performances économiques de ces vingt dernières années ont surtout profité à la classe moyenne, la classe supérieure bénéficiant de manière disproportionnée de la création des richesses. Il convient de noter que le PNB par habitant de l’Inde (2.390 USD) est encore bien inférieur à celui des autres pays fondateurs des BRICS et des grands pays asiatiques, à l’exception du Pakistan. L’amélioration de cette trajectoire sera donc d’une grande importance pour l’héritage politique de Modi.
Des perspectives positives pour la grande économie à la croissance la plus rapide au monde
La croissance du PIB devrait atteindre 6,8 % au cours de l’exercice 2024 (d’avril 2024 à mars 2025). Le FMI a récemment prévu un taux légèrement inférieur, mais toujours élevé, de 6,5 % à moyen et long termes (le graphique ci-dessous est basé sur les données des Perspectives de l’économie mondiale du FMI d’octobre 2023).
La forte dynamique économique est portée par une demande intérieure robuste et facilitée par des perspectives économiques solides et une baisse progressive des pressions inflationnistes (+5,1 % en février, dans la fourchette d’inflation cible de la Banque de réserve de l’Inde depuis septembre 2023). La Banque de réserve de l’Inde continue néanmoins de maintenir son taux directeur à 6,5 %, notamment en raison de la persistance d’une forte inflation sur les prix des denrées alimentaires.
En outre, des investissements importants dans les infrastructures, en particulier dans les transports et le numérique, un secteur manufacturier dynamique soutenu par des objectifs d’autosuffisance et une meilleure santé du secteur bancaire contribuent à l’image positive de l’économie, qui se reflète également dans l’essor actuel du marché boursier.
La balance des paiements de l’Inde a également évolué favorablement. En ce qui concerne ses voisins régionaux, la guerre en Ukraine a eu un impact fortement négatif sur la balance commerciale en raison des coûts d’importation de l’énergie et des denrées alimentaires beaucoup plus importants, et ce en dépit de la forte augmentation des importations de pétrole bon marché en provenance de la Russie, qui, alors qu’elle n’était initialement qu’un intervenant modeste, est devenue le principal fournisseur de pétrole du pays. L’économie indienne reste largement dépendante des importations de combustibles (plus de 35 % des importations totales) et donc vulnérable face aux prix élevés. Toutefois, le pays bénéficie d’un important afflux d’investissements directs étrangers (IDE) et d’entrées en portefeuille depuis 2023. Ces volumes devraient rester élevés et suivre une tendance à la hausse compte tenu des perspectives positives à long terme de l’Inde. En ce qui concerne les IDE, l’Inde est considérée comme une destination attrayante et plus sûre pour les multinationales dans le cadre de leurs stratégies de réduction des risques (de-risking) menées à l’encontre de Pékin, sur fond de forte rivalité entre les États-Unis et la Chine et de détérioration des liens entre l’Europe et la Chine. Pour dynamiser durablement les IDE dans le secteur manufacturier, davantage d’accords de libre-échange pourraient être nécessaires, l’Inde souffrant de sa non-participation à des accords commerciaux régionaux et d’un nombre limité d’accords bilatéraux. Les importants flux d’investissement permettent de financer avec facilité le déficit du compte courant, qui fluctue autour de 2 % du PIB depuis 2022 et devrait se maintenir à ce niveau dans les années à venir. La roupie indienne a donc été soutenue et s’est à peu près stabilisée par rapport au dollar américain, bien qu’à une valeur historiquement basse, depuis novembre 2022.
Faiblesse persistante des finances publiques
Les finances publiques restent une faiblesse chronique des fondamentaux macroéconomiques de l’Inde. La pandémie de Covid-19 a encore détérioré la situation, après que les vastes mesures de relance budgétaire du gouvernement (estimées à 10 % du PIB) ont porté la dette publique à 88 % du PIB au cours de l’exercice 2020 et le déficit budgétaire à plus de 10 %. Depuis, la situation s’est quelque peu améliorée puisque la dette publique devrait s’établir à 82 % du PIB au cours de l’exercice 2023.
Néanmoins, des déficits budgétaires importants, de l’ordre de 7 à 8 %, sont toujours attendus dans les années à venir, ce qui signifie que la réduction de la dette publique – à 80 % à moyen et long termes – sera très lente et maintiendra l’Inde dans une situation budgétaire délicate, avec des charges d’intérêt élevées, proches de 30 % des recettes publiques totales (les niveaux les plus élevés depuis l’exercice de 2005). Par conséquent, le gouvernement doit maintenir son engagement d’assainissement budgétaire afin d’éviter toute aggravation de la situation et de conserver les cotes d’évaluation d’investissements attribuées par les agences de notation. Cela comprendra une restriction des dépenses, au niveau des subventions élevées pour l’alimentation et les engrais par exemple, et des privatisations potentielles, notamment dans les secteurs de la banque et de l’assurance. Toutefois, étant donné que les plans de désinvestissement des années précédentes étaient très éloignés des objectifs du gouvernement, des plans de privatisation audacieux semblent peu probables.
Forte exposition socio-économique au changement climatique
L’année 2023 a une nouvelle fois montré la vulnérabilité de l’Inde face aux effets du changement climatique, notamment en raison de l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les vagues de chaleur et les sécheresses, suivies de pluies de mousson plus irrégulières et plus intenses. Ces catastrophes naturelles s’intensifieront avec l’accélération du changement climatique, ce qui pose un risque particulièrement grave pour 45 % de la main-d’œuvre encore active dans l’agriculture et compromet le potentiel économique à long terme du pays. Par conséquent, tout comme un nombre croissant d’autres pays, l’Inde peut s’attendre à une diminution des récoltes d’aliments de base. Depuis juillet 2023, des récoltes de riz beaucoup plus faibles ont conduit les autorités indiennes à imposer un ensemble d’interdictions et de restrictions sur les exportations de riz, ce qui a mis sous pression l’approvisionnement mondial et entraîné de fortes hausses de prix. Les restrictions commerciales liées aux préoccupations de sécurité alimentaire devraient devenir plus fréquentes à l’avenir, les pays subissant de plus en plus les effets du changement climatique.
Perspectives stables à positives pour les notations de risque pays
Le risque lié à l’environnement des affaires s’est progressivement amélioré au fil du temps, laissant derrière lui le pic enregistré pendant la pandémie (G/G à la fin de 2020) et menant plus récemment à un relèvement à la catégorie C/G dans un contexte économique favorable. En ce qui concerne les notations du risque politique, les perspectives sont stables à court terme (2/7) grâce à des liquidités confortables, ainsi qu’à moyen et long termes (3/7) compte tenu de la faible dette extérieure.
Analyste: Raphaël Cecchi – r.cecchi@credendo.com