De solides fondamentaux soutiennent la performance économique malgré un paysage politique en mutation
- Une nouvelle ère politique prend forme sous la houlette du Président fraichement élu Andrés Manuel López Obrador
- Des décisions politiques controversées alimentent l’incertitude
- Des fondamentaux macroéconomiques solides renforcent la deuxième économie d’Amérique latine
- Une continuité budgétaire est recherchée, tandis que la dynamique de la dette publique demeure soutenable
- Les perspectives de risques de Credendo pour le Mexique demeurent globalement stables
Une nouvelle ère politique prend forme
Andrés Manuel López Obrador (AMLO), nationaliste d’extrême-gauche et ancien maire de Mexico City, a officiellement endossé la fonction de président du Mexique le 1er décembre 2018 après avoir remporté haut la main les élections de juillet 2018. C’est la première fois que le président du Mexique n’appartient pas au Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) – qui a dirigé le pays pendant près d'un siècle – ni au parti d’opposition traditionnel, le Parti d’action nationale (PAN), qui l’a gouverné pendant 12 ans. En effet, ce n’est qu’en 2014 que le Mouvement de régénération nationale (MORENA) d’Andrés Manuel López Obrador est devenu un parti politique, ouvrant du même coup une toute nouvelle ère politique pour le Mexique. Sa victoire électorale n’a pas été une surprise. En tant que candidat anti-establishment, il a capitalisé sur la colère des électeurs concernant les scandales de corruption, le taux de meurtres record que détient le Mexique et l’omniprésence des inégalités.
Au niveau législatif, Andrés Manuel López Obrador a également décroché, avec sa coalition, une majorité dans les deux chambres du Congrès, ce qui en fait le président le plus puissant depuis des dizaines d’années et facilitera une adoption en douceur de la législation. La majorité, au pouvoir depuis septembre 2018, pourrait même passer à deux tiers si les petits partis décident de se joindre à la coalition pour voter l’adoption de réformes critiques qui nécessitent des modifications constitutionnelles (énergie, travail, télécommunications et fiscalité). Malgré l’absence de pression de la part de l’opposition, une division interne au parti entre les membres qui désirent des réformes favorables aux marchés et ceux qui préfèrent une plus grande intervention étatique pourrait toutefois venir compliquer l’action politique.
Des décisions politiques controversées alimentent l’incertitude
Depuis sa prise de fonction, le Président Obrador a fait preuve d’un grand empressement en introduisant rapidement des réformes afin de juguler la corruption et de lutter contre le crime (en créant une très controversée Garde nationale sous contrôle militaire), en augmentant les dépenses sociales et en présentant des projets d’infrastructure ambitieux. Toutefois, des réformes antérieures dans le domaine de l’énergie et de l’éducation, mises en œuvre par son prédécesseur Peña Nieto, pourraient être abrogées par la nouvelle administration. Le président fraichement élu a accepté une transaction avec les États-Unis et le Canada afin d’actualiser l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), appelé ACEUM (Accord Canada–États-Unis–Mexique), laquelle a considérablement réduit l’incertitude relative aux liens commerciaux avec les États-Unis. Bien que le nouvel accord commercial ait été signé par les trois leaders respectifs, il devra être ratifié par le corps législatif de chaque pays avant d’entrer en vigueur. Même si l’ACEUM présente de multiples similitudes avec l’ALENA, il se différencie dans certains domaines tels que les services, l’e-commerce, l’introduction de règles plus strictes relatives aux exigences d’origine et de règles plus sévères concernant l’automobile.
Le Président Obrador s’efforce de gouverner en combinant, ce qui est inhabituel, le débat au Congrès et la démocratie directe, en soumettant de nombreuses décisions au vote populaire, ce qui marginalisera le contrôle du pouvoir du Congrès. En octobre 2018, le Président Obrador a organisé une consultation populaire sur l’annulation d’un immense aéroport en construction à Mexico City. L’électorat participant, s’élevant à 1 %, a voté en faveur de la suppression de l’aéroport et le Président Obrador a promis de respecter ce résultat même si le projet avait déjà coûté 5 milliards USD (sur un total de 13 milliards USD) et était déjà construit à 30%. Cette décision a ébranlé les marchés financiers, faisant plonger les obligations et la monnaie du Mexique, et conduisant la banque centrale à relever les taux d’intérêt à 8,15 % (le plus haut taux depuis 2008). La construction de l’aéroport s’est toutefois poursuivie afin d’éviter à la fiduciaire contrôlée par l’État qui porte le projet de construction de l’aéroport de devoir rembourser 6 milliards USD d’émissions obligataires si les travaux étaient annulés. Pour éviter un défaut de paiement inextricable, le gouvernement a récemment conclu un accord avec les détenteurs des 6 milliards d’obligations d’aéroport, qui financent sa construction, en rachetant 1,8 milliard USD de ces obligations. Les négociations relatives à la résiliation du contrat sont actuellement toujours en cours.
L’incertitude politique qui a suivi cette débâcle aéroportuaire a failli nuire à la crédibilité du Mexique sur les marchés des capitaux, provoquant une hausse des coûts d’emprunt et une perte d’appétit pour la dette mexicaine. La présentation du budget 2019 a néanmoins réussi à rassurer les investisseurs, en faisant preuve d’une responsabilité budgétaire générale, ce qui a de nouveau consolidé le peso. En outre, la nouvelle administration s’est, à maintes reprises, engagée à faire preuve de pragmatisme et a indiqué sa volonté de maintenir le cadre politique solide du Mexique ainsi que l’indépendance des institutions de politique économique.
Des fondamentaux macroéconomiques solides soutiennent la deuxième économie d’Amérique latine
La croissance économique de la deuxième économie d’Amérique latine est restée vigoureuse au cours des 5 dernières années et devrait s’établir à 2,1 % de croissance du PIB en 2019 et 2,2 % en 2020. L’inflation a chuté à 4,8 % en 2018 (contre 6,8 % en 2017) et devrait converger vers les 3 % grâce à une politique monétaire prudente. Le peso mexicain (qui s’est déprécié de moins de 5 % par rapport au USD en 2018) suit un régime de change flexible qui a contribué à faire face aux chocs extérieurs.
La production pétrolière du Mexique s’est inscrite dans une tendance baissière – chutant de 2,5 millions de barils par jour en 2013 à 1,9 en 2018 – ce qui s’explique en grande partie par des années de sous-investissements dans la société pétrolière publique fortement endettée Pemex et des prélèvements d’impôts démesurés. La santé financière de Pemex continue de susciter beaucoup d'inquiétude. Pemex a de surcroît publié des pertes annuelles de 3 milliards USD en raison de vols de carburant perpétrés par des gangs locaux et des cartels de la drogue. Récemment, en tentant de lutter contre les vols de carburant, en passant d’une distribution par pipelines à une distribution par camions-citernes moins vulnérables aux attaques, le gouvernement a provoqué une importante pénurie de carburant à travers le pays, trois semaines seulement après avoir accédé au pouvoir. À moins que la situation perdure au cours des prochains mois, elle ne devrait avoir qu’un impact limité sur la croissance économique, tandis qu’à plus long terme, ces efforts pourraient consolider les comptes budgétaires. Le Mexique importe aussi d’importantes quantités de pétrole, et depuis 2015 la balance des hydrocarbures est devenue déficitaire. Le Mexique devrait rester un « importateur net de pétrole », au moins jusqu’en 2022, malgré les plans du Président Obrador d’augmenter la production et la capacité de raffinage nationale. Contrairement à de nombreux pays producteurs de pétrole, l’économie mexicaine n’est pas excessivement dépendante des exportations de produits pétroliers (5 % des recettes totales d’exportation), étant donné que les biens manufacturés tels que les machines, les équipements électroniques et les produits automobiles se taillent la part du lion des exportations du pays (70 % des recettes totales d’exportation).
Le déficit du compte courant fluctue raisonnablement aux alentours des 2 % du PIB depuis 2013 et devrait continuer de la sorte au cours des années à venir. Le Mexique attire des montants considérables d’investissements directs étrangers et d’abondantes mais volatiles entrées d’investissements de portefeuille. Toutefois, d’énormes quantités de capitaux quittent également le pays – avec pour corollaire des épisodes de déficits de financement limités sur la balance des paiements extérieurs en 2015, 2016 et 2017 – ce qui explique le recul des réserves de change à 3,8 mois de couverture des importations (septembre 2018), un niveau toutefois toujours adéquat, après des années de niveaux de liquidité stables aux alentours de 4,5 mois.
Recherche de la continuité budgétaire, tandis que la dynamique de la dette publique demeure soutenable
La nouvelle administration a réussi à tempérer l’incertitude des marchés en présentant un budget 2019 responsable. Depuis 2016, des politiques budgétaires prudentes ont permis au solde budgétaire primaire (hors paiements d'intérêts) de dégager un léger excédent, faisant baisser le déficit budgétaire global de 4 % du PIB en 2015 à 2,8 % en 2016 et 1,1 % en 2017. En 2019, le déficit budgétaire devrait rester confiné à un niveau raisonnable de 2,5 % du PIB grâce à une meilleure perception de l’impôt (réduction de l’évasion et de la fraude fiscale) et une réduction des dépenses courantes. L’encours de la dette publique totale a culminé en 2016 à 56,8 % du PIB et devrait se stabiliser aux environs d’un raisonnable 53 % en 2018 et au cours des années suivantes. La moitié de la dette publique est détenue par l’étranger, mais un tiers seulement est libellé en monnaie non locale, tandis que la majorité est émise à des taux d'intérêt fixes avec des maturités relativement longues. L’encours de la dette extérieure totale (1/3 de la dette du secteur privé) s’est stabilisé aux alentours de 40 % du PIB depuis 2016 et devrait se maintenir à ce niveau au cours des prochaines années. Les services de la dette se situent aussi à un niveau modeste. Par conséquent, les dynamiques de la dette tant extérieure que publique du Mexique sont généralement considérées comme soutenables.
La dépendance budgétaire envers le secteur pétrolier (20 % des recettes publiques totales) et l’importante exposition à un ralentissement économique aux États-Unis devraient demeurer des faiblesses structurelles. En outre, le durcissement des conditions des marchés financiers, la montée des tensions commerciales mondiales ou une inversion des flux de capitaux en provenance des marchés émergents font courir des risques importants à l’économie ouverte du Mexique. Sur le plan intérieur, des décisions politiques imprudentes pourraient augmenter l’incertitude sur les marchés et éventuellement nuire aux conditions de refinancement du Mexique. À l’inverse, le risque d’une altération soudaine des principales relations commerciales du Mexique, ébranlant ses exportations manufacturées vitales, a été apaisé par l’accord ACEUM qui a amélioré la perspective économique globale. Des retards dans la ratification de l’accord commercial ACEUM ne sont toutefois pas à exclure en raison de nouveaux différends diplomatiques entre le Mexique et les États-Unis, notamment à propos de la construction du mur à la frontière ou de la polarisation politique au Congrès américain qui bloque la ratification. Cela pourrait générer un regain de pression sur le peso mexicain et une hausse de l’inflation telle que celle enregistrée au moment de l’élection de M. Trump.
Credendo classe le Mexique en catégorie 2/7 pour le risque politique à court terme, avec des perspectives stables. Le pays bénéficie d’un faible niveau de dette extérieure à court terme et de réserves de change adéquates. Le risque politique à moyen et long termes se situe en catégorie 3/7, avec des perspectives stables. Le rating de risque modéré du Mexique reflète des ratios d’endettement extérieur et de service de la dette modérés, des déficits de compte courant soutenables, des finances publiques saines et une diversification économique en dépit d’une forte dépendance envers l’économie américaine.
Analyste: Louise Van Cauwenbergh – l.vancauwenbergh@credendo.com